CRISE SANITAIRE : QUELLES SONT LES INCIDENCES SUR LES DELAIS ?

CRISE SANITAIRE : QUELLES SONT LES INCIDENCES SUR LES DELAIS ?

Publié le : 02/04/2020 02 avril avr. 04 2020

La déclaration d’état d’urgence sanitaire sur le territoire français a des incidences importantes sur les délais, qu’ils soient contentieux, administratifs, judiciaires, ou encore contractuels.
Un texte de portée générale a été adopté. Il s’agit de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, qui fixe les règles de prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et adapte les procédures pendant cette même période.
Dans le même temps, d’autres textes, précisant la teneur et la portée de l’ordonnance, ont été adoptés dans des domaines plus spécifiques.
Des précisions liminaires s’imposent afin de décrypter ces textes :
  • la suspension d’un délai signifie que temporairement, le délai ne court plus, mais cela n’efface pas le délai déjà couru,
  • la prorogation d’un délai signifie que le délai est prolongé jusqu’à une certaine date. Dans ce cas, un délai supplémentaire est donc accordé.
L’article 1er de l’ordonnance retient comme référence, pour l’application des mesures d’adaptation des délais, la période s’étendant entre le 12 Mars 2020 et l’expiration d’un délai d’1 mois courant à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire.
Pendant cette période, les délais sont soit prorogés, soit suspendus.
 
  1. Les délais en matière contentieuse
 
  • Délais pour agir
L’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 prévoit, de manière générale, que :
« Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l'article 1er sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois.
Il en est de même de tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l'acquisition ou de la conservation d'un droit. »
Cela signifie que les recours et actions en justice qui auraient dû être introduits entre le 12 Mars 2020 et l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire seront réputés avoir été faits à temps s’ils font formés dans le délai prévu pour agir, dans la limite de deux mois.
Cela semble signifier qu’un nouveau délai pour agir commencera à courir à compter de l’expiration d’un délai d’1 mois courant à compter de la fin de la période d’état d’urgence sanitaire. Ce nouveau délai pour agir ne pourra excéder deux mois.
  • Mesures juridictionnelles
L’ordonnance prévoit en outre que :
« Les mesures administratives ou juridictionnelles suivantes et dont le terme vient à échéance au cours de la période définie au I de l'article 1er sont prorogées de plein droit jusqu'à l'expiration d'un délai de deux mois suivant la fin de cette période :
1° Mesures conservatoires, d'enquête, d'instruction, de conciliation ou de médiation ;
2° Mesures d'interdiction ou de suspension qui n'ont pas été prononcées à titre de sanction ;
3° Autorisations, permis et agréments ;
4° Mesures d'aide, d'accompagnement ou de soutien aux personnes en difficulté sociale ;
5° Mesures judiciaires d'aide à la gestion du budget familial.
Toutefois, le juge ou l'autorité compétente peut modifier ces mesures, ou y mettre fin, lorsqu'elles ont été prononcées avant le 12 mars 2020. »
Ici encore, un nouveau délai pour effectuer ces mesures commencera à courir à compter de l’expiration d’un délai d’1 mois suivant la fin de la période d’état d’urgence sanitaire.
  • Précisions devant les juridictions administratives
L’ordonnance n° 2020-305 adapte les règles de procédure applicables devant les juridictions administratives pendant la période de confinement.
S’agissant des délais, son article 15 prévoit qu’il est fait application des mesures de prorogation et d’adaptation mentionnées à l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306.
Des dérogations sont toutefois prévues dans certaines matières, notamment en droit électoral ou en droit des étrangers.
Une fiche publiée par le Conseil d’Etat éclaircit également l’adaptation des règles de procédure devant les juridictions administratives. Il y est clairement prévu que « Lorsque le délai de recours légalement prévu prend fin entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois après la cessation de l’état d’urgence, il recommence à courir à partir de cette dernière date – soit le 24 juin si la durée de l’état d’urgence sanitaire n’est pas modifée – pour sa durée initiale, calculée en délai franc, dans la limite de deux mois. »
  • Précisions devant les juridictions judiciaires
Une circulaire du Garde des Sceaux en date du 26 Mars 2020 précise les règles applicables aux délais devant les juridictions judiciaires.
Elle précise notamment que l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306, relatif aux règles générales de prorogation, ne s’appliquent pas aux actes et délais suivants :
  • les actes qui devaient être accomplis avant le 12 mars 2020 : leur terme n’est pas reporté,
  • les délais dont le terme est fixé au-delà du mois suivant l’expiration de la cessation de l’état d’urgence sanitaire : le terme de ces délais ne fait l’objet d’aucun report.  
 
  1. Les délais en matière administrative
 
  • Champ d’application
Les règles dont l’exposé suit sont applicables :
  • à l’Etat,
  • aux collectivités territoriales,
  • aux établissements publics administratifs,
  • aux organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d'une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale.
 
  • Règles de formation des décisions implicites
L’ordonnance prévoit que les délais à l'issue desquels une décision, un accord ou un avis peut ou doit intervenir ou est acquis implicitement et qui n'ont pas expiré avant le 12 Mars 2020 sont suspendus jusqu'à la fin l’expiration d’un délai d’1 mois suivant la fin de la période d’état d’urgence sanitaire.
Sont ici visés, notamment, les décisions implicites d’acceptation et les avis tacites (Autorité environnementale par exemple).
  • Règles d’instruction des demandes et de participation du public
Les mêmes règles s'appliquent aux délais impartis aux mêmes autorités pour :
  • vérifier le caractère complet d'un dossier,
  • ou pour solliciter des pièces complémentaires dans le cadre de l'instruction d'une demande.
Il en va de même des délais prévus pour la consultation ou la participation du public.
  • Règles spécifiques aux enquêtes publiques
L’ordonnance comporte un article dédié spécifiquement dédiés aux enquêtes publiques :
  • qui étaient déjà en cours au 12 Mars 2020
  • ou qui devaient être organisées entre le 12 Mars 2020 et l’expiration d’un délai d’1 mois suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire.
Il est prévu que « Lorsque le retard résultant de l'interruption de l'enquête publique ou de l'impossibilité de l'accomplir en raison de l'état d'urgence sanitaire est susceptible d'entraîner des conséquences difficilement réparables dans la réalisation de projets présentant un intérêt national et un caractère urgent, l'autorité compétente pour organiser l'enquête publique peut en adapter les modalités :
1° En prévoyant que l'enquête publique en cours se poursuit en recourant uniquement à des moyens électroniques dématérialisés. La durée totale de l'enquête peut être adaptée pour tenir compte, le cas échéant, de l'interruption due à l'état d'urgence sanitaire. Les observations recueillies précédemment sont dûment prises en compte par le commissaire enquêteur ;
2° En organisant une enquête publique d'emblée conduite uniquement par des moyens électroniques dématérialisés.
Lorsque la durée de l'enquête excède la période définie au I de l'article 1er de la présente ordonnance, l'autorité compétente dispose de la faculté de revenir, une fois achevée cette période et pour la durée de l'enquête restant à courir, aux modalités d'organisation de droit commun énoncées par les dispositions qui régissent la catégorie d'enquêtes dont elle relève.
Dans tous les cas, le public est informé par tout moyen compatible avec l'état d'urgence sanitaire de la décision prise en application du présent article. »
  1. Les délais contractuels
L’ordonnance précise que les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n'avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période d’état d’urgence sanitaire.
Ces clauses produiront leurs effets à compter de l'expiration d'un délai d'un mois après la fin de la période de l’état d’urgence, sauf à ce que le débiteur se soit exécuté avant.
Le cours des astreintes et l'application des clauses pénales qui ont pris effet avant le 12 mars 2020 sont suspendus pendant la période définie au I de l'article 1er.
En outre, l’article 5 de l’ordonnance permet à la partie qui n'aurait pas pu résilier un contrat ou s’opposer à son renouvellement dans le délai imparti en raison de l’épidémie de covid-19, de bénéficier d'un délai supplémentaire pour le faire.
  1. Les exceptions
Certains délais ne sont ni prorogés, ni adaptés, en raison des conséquences pratiques que de telles mesures pourraient induire.
Tout d’abord, ne sont pas concernés les délais qui auraient expiré avant le 12 Mars 2020.
Ne sont a priori pas davantage concernés les délais qui n’expirent pas entre le 12 Mars 2020 et l’expiration d’un délai d’1 mois suivant la fin de la période d’état d’urgence sanitaire.
En outre, l’ordonnance n° 2020-306 prévoit que sont exclus de son champ d’application :
  • les délais et mesures résultant de l'application de règles de droit pénal et de procédure pénale, ou concernant les élections régies par le code électoral et les consultations auxquelles ce code est rendu applicable,
  • les délais concernant l'édiction et la mise en œuvre de mesures privatives de liberté,
  • les délais concernant les procédures d'inscription dans un établissement d'enseignement ou aux voies d'accès à la fonction publique,
  • les obligations financières et garanties y afférentes mentionnées aux articles L. 211-36 et suivants du code monétaire et financier,
  • les délais et mesures ayant fait l'objet d'autres adaptations particulières par la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 ou en application de celle-ci.
 
Chloé Daguerre,
Elève avocate, Cabinet ARCC.

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